
J’ai eu, avant-hier soir, l’ immense plaisir et privilège de rencontrer Alexandre Adler. Dans les suites de " l’ affaire Finkielkraut ", voici sa réponse à une attaque du nouvel obs, un peu longue à lire, mais qui est un pur chef d’ oeuvre:
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Néoréacs contre néocons
La chronique d’Alexandre Adler
[08 décembre 2005]
J’appartiens, en très bonne compagnie (Hélène Carrère d’Encausse, Alain Finkielkraut, André Glucksmann…), selon notre confrère Le Nouvel Observateur, à une nouvelle famille d’esprits, «les néoréacs». Pour paraphraser le Shakespeare de Jules César : «Si tel était le cas, ce serait une lourde faute et lourdement devrons-nous en répondre un jour.» Au-delà de toute polémique, j’ai essayé de comprendre ce que cette nouvelle épithète pouvait bien signifier aujourd’hui. Et voici la réponse : un néoréac n’est néo que parce que la forme de réaction qu’il incarne est nouvelle, tout autant que le progressisme qu’il combat s’appuie sur un paradigme non moins nouveau.
J’ai donc essayé de résumer les directions stratégiques du néoprogressisme. J’en vois six.
1) Le nouveau progressisme est d’abord écologique. Il considère l’avenir même de la Terre comme menacé et prône coûte que coûte le ralentissement de l’actuelle croissance génératrice de catastrophes. A cet égard, il se défie considérablement de la science, des OGM qui empoisonnent les cultures aux nanotechnologies qui pourraient permettre un jour le contrôle du cerveau humain. Contre le réchauffement planétaire, il prône la frugalité franciscaine, évidemment nouvelle.
2) Le néoprogressisme est un antimondialisme. De même qu’Adam Smith en son temps avait révélé le paradoxe du caractère bénéfique de l’étroitesse égoïste et épargnante du consommateur individuel, laquelle en favorisant la concurrence provoquait un enrichissement général ; de même, aujourd’hui, les manifestants casseurs qui accompagnent les réunions du G 8, les grévistes qui refusent les délocalisations et les protectionnistes qui passent des incendies de pneus au rétablissement des barrières douanières, finissent par apporter du bien et du vrai en ralentissant le processus de libéralisation des échanges qui n’est pas soutenable pour nos économies, encore moins pour nos sociétés. Il faut reprendre en main, là aussi pour le ralentir, le processus d’unification de l’Europe, et au sein de celle-ci favoriser un protectionnisme continental contre les Etats-Unis et la Chine. Le néoprotectionnisme veut dissocier le triptyque salaire-emploi-productivité en montrant qu’il existe d’autres manières de produire, génératrices d’emploi (les 35 heures) et d’autres sources du salaire que l’augmentation de la productivité : la hausse des impôts, moyen imparable d’une authentique redistribution sociale.
3) Le néoprogressisme tient les Etats-Unis pour l’ennemi de la planète. Parce que les Etats-Unis sont le centre névralgique de la mondialisation productiviste, ils détruisent les sociétés qui leur résistent tout autant que la biodiversité. Comme toute équation peut se lire dans les deux sens, il en résulte qu’aucun adversaire des Etats-Unis ne peut être résolument mauvais : certains tels que le Vénézuélien Chavez, le Zimbabwéen Mugabe ou certains mollahs iraniens présentent encore quelques rugosités parfois gênantes. Mais l’essence de leur combat produit les mêmes effets progressistes à terme que la résistance au changement de toutes les forces organisées de l’hémisphère Nord. Un seul régime issu du tiers-monde révolutionnaire est intégralement pervers, c’est celui de la Chine qui imite notre productivisme et notre indifférence aux véritables damnés de la terre.
4) Le néoprogressisme condamne aussi bien sûr les alliés des Etats-Unis qui sont soit les relais de leur système social (l’Angleterre), soit les piliers de leur ordre stratégique (Israël ou le Japon). Il se méfie évidemment de lobbies mondialistes qui veulent dicter une politique mondialiste excessive à la France. Si les lobbies anglais et japonais sont surtout économiques, le lobby israélien s’appuie sur une forme nouvelle de communautarisme qui fait des communautés juives et des juifs favorables au sionisme un groupe totalement acquis au phénomène néoréac, et donc à ce titre objet d’une suspicion très particulière. Les bons juifs sont évidemment les juifs antisionistes comme l’étaient pendant l’affaire Dreyfus les Israélites qui choisissaient le baptême.
5) et 6) Il résulte enfin de toutes ces considérations que la planète sera sauvée par la révolte des damnés de la terre, cette fraction du Sud qui, abandonnée de la mondialisation, développe de Porto Alegre à Pyongyang et jusqu’au coeur de nos banlieues un Grand Refus qui a pris la place du combat aujourd’hui éteint du prolétariat des métropoles. Bien sûr un nouvel islam politique est amené à y jouer un rôle croissant, à l’instar de ce qui s’est produit déjà aux Etats-Unis avec l’islam afro-américain prosélyte de Farrakhan. Il est grand temps, pour les Européens en particulier, de tendre la main à ces mouvements et à se dissocier clairement de l’anti-islamisme que pratiquent les américano-sionistes d’une part, les néostaliniens russes d’autre part.
Il est absolument certain que je me trouve de l’autre côté de la barricade, à l’énoncé de ces six thèses qui en pointillé révèlent aussi clairement mes six contre-thèses, dont j’épargnerai ici l’énoncé à nos lecteurs. D’accord donc pour le néologisme néoréac. Mais le néoprogressisme ainsi redéfini est-il toujours si progressiste ? Je le vois pour ma part plutôt porteur d’une authentique révolution conservatrice à l’échelle planétaire. Alors ne serait-il pas plus justifié de dire que le combat des néoréacs se livre plutôt contre les néoconservateurs de demain, en abrégé bien sûr les néocons. C’est la lutte finale.