Lorsque la liberté d’expression commença de s’épanouir au dix-neuvième siècle, celui dont on demandait l’avis sur l’actualité politique était un intellectuel, qui avait lu Kant, Rousseau, Voltaire et les grands penseurs des Lumières. Petit à petit, avec la démocratisation, les journaux se sont mis à interroger les politiciens. Censés représenter le peuple, ils étaient alors considérés comme les mieux à même de parler des sujets le concernant. Sous la IIIème République le rôle principal de la presse était d’ailleurs de retranscrire en intégralité les discours des parlementaires à l’assemblée nationale. Le journaliste et l’homme politique étaient les personnes à interroger pour obtenir des informations sur un sujet pointu.
Puis est arrivée l’époque des experts, qui n’est pas encore terminée. Le politicien est remplacé par un spécialiste s’étant farci des années de travail sur un sujet ultra-précis ne faisant l’actualité qu’une fois tous les vingt ans et qui saisit son éphémère instant de célébrité. Ce changement a fait du remue ménage chez les ‘‘démocrates’’ : la parole du peuple est confisquée par des personnes qui ne le représentent pas, qui n’ont aucune légitimité, qui ne sont pas élus…
Et bien, homo democraticus, ne t’inquiète plus les choses sont rentrées dans l’ordre ! Désormais le Peuple, avec un grand Pet, a de nouveau la parole grâce à cette invention géniale qu’est le micro-trottoir. Adieu le sondage d’opinion trop austère et trop impersonnel, bonjour, Dédé le camionneur qui t’explique comment que la DDE elle a mal salée les autoroutes et que ça lui a fait faire des grosses frayeurs (surtout quand il a trois grammes dans le sang, le Dédé).
Souvenons-nous qu’à l’origine –et ça l’article de wikipedia sur le sujet de s’en vante pas- le micro-trottoir avait pour objectif de se moquer (pas méchamment d’ailleurs) de gens pris au hasard dans la rue, avec les Jacques Legras et consorts et qui manifestaient fréquemment une naïveté, pour ne pas dire plus, tout à fait remarquable.
Grâce à nos journaleux qui ne veulent pas trop se fouler pour pondre leur article, n’importe quel quidam, quelles que soient ses opinions politiques, son statut social ou son niveau d’information, peut déposer sa petite crotte dans un reportage du JT, gentiment ramassée et remaniée par des morveux qui se félicitent d’avoir « donné la parole au peuple ! » Et quel peuple ! Un beauf Kronenbourisé, chopé sur le trottoir entre le Bar-Tabac et les chiottes publiques, a autant le droit de donner son avis sur un sujet d’actualité brulant qu’un spécialiste reconnu ou qu’un type qui s’est fait élire sur un programme répondant justement à ces problèmes d’actualité !
C’est notre blanche godiche qui a donné au micro-trottoir ses lettres de noblesse en proclamant : « Chacun est un expert pour les sujets qui le concerne. » Tout était dit.
Churchill disait que le meilleur argument contre la démocratie était de passer cinq minutes avec un électeur moyen. Je pense qu’un reportage micro-trotté suffit largement…
lenonce